Le management et la prise de décision en période de crise

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Le concept de management de crise est encore un domaine très fragmenté dans la littérature sur le management. De nombreux témoignages de dirigeants ou recommandations de consultants sont disponibles, mais ne reflètent souvent que l’expérience et la situation de leurs auteurs et ne sont pas valables dans tous les contextes. Les prescriptions sont donc à la fois souvent évidentes mais contradictoires.

Par exemple, il semble qu’un PDG avec une forte autorité soit un facteur de succès en situation de crise, étant donné la centralisation des informations et la rapidité des décisions que cela permet. Mais les PDG puissants sont aussi susceptibles de prendre plus de risques et donc de provoquer plus de crises.

Pour mieux envisager les actions préventives et le management de la crise, il convient de définir ce que cela signifie. L’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) propose la définition suivante : « La crise est une déstructuration rapide de tous les repères, une dérégulation des mécanismes et des réactions habituelles. C’est une dynamique qui s’autoalimente par un effet boule de neige provoquant une incapacité grandissante à maîtriser l’incertitude »

Un leader doit donc être prêt à se confronter à :

✔ la perte de repères de pilotage de l’entreprise, le sien et ceux de ses équipes

la perturbation des modes de décision habituels

le sentiment d’un contexte qui devient de plus en plus menaçant.

Certaines organisations sont spécialisées dans le traitement des crises, militaires, polices, sûreté nucléaire. Elles sont étudiées sous l’acronyme: HRO (High Reliability Organization ou Organisations Hautement Fiables).

Ce qui les caractérise avant tout est l’importance accordée au facteur humain :

Le rôle du leader dans le traitement des crises dépasse donc largement son comportement lors de la crise.

Sa contribution est aussi importante, sinon plus, en situation normale lors de la phase de prévention. Par ailleurs, la phase d’analyse et de retour d’expérience (REX ou RETEX) doit aussi être l’occasion d’un apprentissage pour toute l’organisation 

Au cours de ces trois phases, la prévention, la crise et le retour d’expérience, le leader doit prendre en compte deux dimensions: la dimension interne de l’entreprise et la dimension externe avec la gestion des parties prenantes (stakeholders)

On peut ainsi déterminer les principaux facteurs de succès d’une bonne gestion de crise

En ce qui concerne particulièrement la qualité du leadership, il a été observé que les dirigeants qui considèrent les crises comme des menaces réagissent plus émotionnellement et sont plus limités dans leurs efforts, tandis que les dirigeants qui considèrent les crises comme des opportunités sont plus ouvertes d’esprit plus flexibles. Cette flexibilité, en particulier dans la capacité à changer de          « modèle mental » pour s’adapter à une crise, est propice à l’amélioration de la communication et de la coordination, qui renforce en retour la perception positive du leader par les collaborateurs.

Vis-à-vis de l’environnement externe, il paraît clair que la bonne relation avec les parties prenantes réduit les risques de crise et favorise leur soutien pendant la crise. En particulier, la relation entre la mise en place des politiques de RSE et le soutien des parties prenantes au cours d’une crise va devenir de plus en plus cruciale dans les années à venir. Des relations conflictuelles avec ces parties prenantes sont clairement des facteurs de risque pour l’entreprise. Le leader doit donc animer préventivement la qualité de ces relations.

En situation de crise, il doit en effet s’attendre à ce que la recherche de responsabilité concerne l’entreprise. Il doit organiser la réaction de l’entreprise aux messages de l’environnement : « Les stratégies de réponse qui acceptent moins de responsabilités – généralement qualifiées de défensives – tentent de réduire l’association perçue d’une organisation avec une crise, tandis que les stratégies qui acceptent plus de responsabilités – généralement qualifiées d’accommodantes – reconnaissent le rôle causal d’une organisation dans une crise »

De même, après la crise, la responsabilité du leader est de contribuer le cas échéant à la restauration de l’image et de la qualité des relations avec les parties prenantes. Lors de dommages importants, les actions nécessaires peuvent conduire à des changements profonds dans le fonctionnement de l’entreprise, dans sa politique de marque ou ses relations avec son environnement ( clients, fournisseurs…). 

A partir des fonctions essentielles du leader définies par Henry Mintzberg et l’observation des difficultés souvent rencontrées sur le terrain, il est possible de noter les axes essentiels pour le leader en ce qui concerne le traitement des crises. 

Le premier point est la prévention. La plupart des grandes entreprises ont aujourd’hui formalisé les règles et procédures essentielles :

Mais les spécialistes du sujet s’entendent sur la priorité à donner au facteur humain, c’est-à-dire la capacité individuelle et collective à comprendre la situa à prendre les initiatives pertinentes pour collaborer, décider et informer

Cette capacité se développe bien sûr par la formation des collaborateurs et de la direction aux comportements à mobiliser lors d’une crise. Il est important de prévoir une simulation immersive recréant le plus fidèlement possible le sentiment d’urgence, la perturbation de la chaîne de commandement, les injonctions contradictoires, le poids de la responsabilité.

Plus généralement, les modes de management doivent permettre la mise en œuvre de modalités exceptionnelles. Ainsi, l’armée française a des systèmes de mobilisation rapide de la hiérarchie, raccourcissant les processus de décision, pour répondre à des situations terrain réclamant une réponse urgente (par exemple, pour modifier un armement ou une procédure d’intervention défaillants dans certains contextes). Ce sont non seulement des procédures d’urgence qui permettent ces adaptations, mais plus généralement le climat, les pratiques habituelles de l’entreprise qui rendront plus propice la mobilisation des bons réflexes.

Prenons, par exemple, deux sujets, d’ailleurs liés : le niveau de centralisation des décisions et le droit à l’erreur.

Certaines cultures managériales donnent la priorité à la décision hiérarchique et limitent le niveau de prise d’initiative des managers et des collaborateurs.

Dans ces entreprises, les collaborateurs sont moins préparés à évaluer les situations et, surtout, à intégrer les différents cibles, disponibilité des paramètres nécessaires à une prise de décision : prise en compte des effets post-validation d’une hiérarchie.

Une organisation qui, au contraire, a développé une culture de délégation qui habitue les collaborateurs et les managers à intégrer les priorités, les contraintes de l’entreprise, à prendre des responsabilités à leur niveau en cohérence avec les intérêts de l’entreprise sera mieux préparée aux situations de crise.

De même, la façon dont sont traités les erreurs est un sujet essentiel, non seulement dans la prévention et la gestion des crises mais plus généralement dans la capacité d’apprentissage de l’entreprise.

Que se passe-t-il dans votre entreprise lorsque quelqu’un fait une erreur ?

Son premier réflexe est-il de la cacher ?

De résoudre seul la difficulté ? Ou d’évaluer le niveau de difficulté et d’en faire part à un collègue ou à sa hiérarchie ?

Comment les erreurs sont-elles suivies font-elles l’objet d’une analyse à froid permettant une compréhension des moteurs de risques à prendre en compte ?

Ou s’empresse-t-on de passer à d’autres sujets sans en tirer les leçons C’est donc sur une approche générale du management que repose le d’une organisation vis-à-vis des crises.

C’est la raison pour laquelle les équipes de sport collectif ou les groupes d’intervention de la police passent beaucoup plus de temps en entraînement qu’en intervention (voire les conditions d’entraînement sont plus dures que la plupart des situations réelles rencontrées).

Pendant la crise, la capacité du leader à être présent et à déléguer est essentielle.

La tendance naturelle en situation de crise est de se focaliser sur les aspects techniques, les règles, les procédures en oubliant que l’efficacité de l’organisation repose avant tout sur la vigilance, la réactivité, le partage d’information, les initiatives, c’est-à-dire sur le facteur humain.

Le leader aura donc une vigilance particulière pour conserver une capacité de percevoir les faits pertinents malgré la tendance naturelle sous stress à réduire son champ de perception, à n’accepter que les informations qui correspondent à ce qui est attendu et à rejeter celles qui sortent du cadre de référence.

Une autre priorité est de conserver le lien avec les équipes.

La pression des enjeux, la gestion de la complexité, la multiplication des sollicitations urgentes peuvent conduire le leader à s’isoler, seul ou avec une équipe rapprochée, et à laisser le reste des équipes dans l’ignorance de ce qui se passe et de ce qui est prévu. 

Les réponses à la crise reposent sur l’action collective : pour conserver l’engagement, la réactivité, la capacité d’adaptation, les prises d’initiatives pertinentes, le leader doit continuer à communiquer, à s’informer, à donner du sens à l’action, à expliquer le projet, à montrer que la démarche est pilotée.

Une des fonctions du leader est de préparer les conditions de succès de l’après crise. Les erreurs de management, en particulier le manque de communication et d’écoute, la déresponsabilisation des collaborateurs par la reprise en main de certaines décisions, portent préjudice à la qualité du fonctionnement collectif une fois la crise surmontée. L’engagement par exemple, une ressource essentielle pour la performance de l’organisation, pourra être durablement diminué.

En l’absence d’une approche cohérente et formalisée du management de crise, il est possible d’envisager néanmoins quelques propositions pour se préparer ou se fixer des principes utiles pour les situations de crise. Henry Mintzberg, un des grands chercheurs actuels du management, a formalisé l’activité de management en trois grandes catégories 35

Ces rôles du leader sont exacerbés en période de crise. C’est d’ailleurs à propos de ces rôles que s’observent les principaux dysfonctionnements. 

La confiance que vous avez en la capacité collective à sortir de la crise peut se renforcer par des actes concrets :

  • en déléguant;
  • en acceptant les porteurs de mauvaises nouvelles;
  • en encourageant les débats francs et ouverts
  • en étant curieux et attentif à ce que vivent les collaborateurs.

Les pressions que l’entreprise subit au cours d’une crise révèlent impitoyablement les faiblesses et le manque de préparation.

Le leader doit animer la capitalisation et le partage des enseignements. Cette phase de retour d’expérience (REX ou RETEX) est institutionnalisée dans les organisations où cet apprentissage est vital comme pour l’armée ou les groupes d’intervention de la police.

La « sécurité psychologique » connue pour être un facteur essentiel des équipes performantes doit être une priorité, chaque collaborateur doit se sentir disponible pour partager son expérience, ses difficultés, ses erreurs, de façon à collecter les différents éléments à retenir pour améliorer la résilience de l’entreprise.