Il nous arrive à tous de nous sentir incompris dans le message que nous voulons transmettre aux autres. Ce que nous disons, même si cela nous paraît clair, peut cependant être incompréhensible pour l’autre. Par Anne-Marie Barreiro Psychosociologue et coach
Entre le message transmis et la traduction par l’autre de celui-ci se trouve un décalage imprévisible qui est à considérer. Ce dernier produit une dégradation des échanges, source de frustration, d’irritation ou de consternation. Ces incompréhensions, qui abîment l’existence, proviennent souvent d’un manque de connaissance de ce qu’est véritablement la communication rationnelle. Car si nos moyens de gérer nos relations, quant à eux, n’ont que très peu évolué. Quand on parle de communication entre des personnes, on pourrait dire que c’est une communication à 20%. Oui, 20% seulement du message serait compris, tandis que 80% resterait caché. En effet, la communication serait un va-et-vient perpétuel entre les interactions, un processus de créations continu de la réalité où 80% de la compréhension se trouve dans l’analyse de plusieurs éléments :
- Les contextes dans lesquels se produit l’échange : l’information contenue dans le message est sélectionnée à partir du contexte de l’émetteur (histoire, valeurs, croyance, sociologie) et elle est ensuite réceptionnée en fonction du contexte de référence du récepteur ;
- L’intention de l’individu : le message envoyé, reçu et traduit en alternance donnera lieu à des réflexes, et ce « réactionnel » dirigera l’échange en fonction d’un but avoué ou caché (chacun voudra tirer la couverture à soi dans le but de gagner quelque chose) ;
- L’interprétation obsessionnelle : le message ainsi filtré va stimuler ce qui nous dérange, nous inquiète, nous obsède et donc faire naître l’interprétation (sous la forme du scénario dans la tête, du petit vélo, de suppositions…). Lors d’une réunion, d’une négociation ou d’un entretien, c’est cette complexité qui s’invite à la table. L’analyse de ces 80% permettrait de prendre une certaine hauteur de vue, de tenir compte des distorsions du message de d’élargir notre environnement cognitif mutuel.
Voici les huit pièges les plus fréquents dans lesquels l’être humain tombe à son insu lors des échanges.
- Croire que sa façon de parler est la bonne
Croire qu’il suffit de dire son message « à sa façon » à une personne pour être compris est illusoire. Car, très souvent, notre manière de dire n’est pas compréhensible pour l’autre. Combien de fois répétons-nous en vain la même chose à la même personne ? (« Je lui ai « déjà » dit ! »)
Supposons que Raoul, manager plutôt directif, donne une consigne à son équipe et conclut en ces termes : « Tout le monde est d’accord ? » Ses collaborateurs n’ont pas d’autres choix que d’être d’accord. Le manager pense qu’ils ont compris, mais les membres de l’équipe ont filtré et interprété ce qu’ils ont perçu. Quelques semaines plus tard, Raoul s’aperçoit avec fureur que les projets n’avancent pas et reproche à son équipe de ne pas être vaillant
Raoul doit s’assurer que ses collaborateurs ont compris en leur demandant. Il pourra ainsi apporter des précisions pour clarifier les tâches ou les consignes. Certes, cela prend du temps, mais ce temps sera indispensable pour gagner en efficacité, en cohésion, en bien être.
2. Le dire par SMS
Une autre illusion est de croire que la technologie va améliorer la communication. Si l’on souhaite exprimer un message important, le SMS, le Tweet ou le post ne vont le complexifier au lieu de le simplifier. Parce qu’il y manque des informations importantes comme l’humeur, le but, le contexte, le cadre. Ces informations manquantes vont fabriquer des hypothèses, introduire l’interprétation et générer des tensions.
Au travail, Laurence reçoit des SMS du lycée de sa fille disant qu’elle est en retard et qu’elle va avoir un avertissement. Laurence, irritée renvoie un SMS en mettant en cause l’école et les retards de bus.Dans ce cas, mieux communiquer pour Laurence serait de prendre rendez-vous avec la directrice de l’école. Chacun pourrait exprimer les effets, les raisons et les circonstances de ces retards puis ils pourraient trouver ensemble une progression et un accord
3. Eviter la sincérité
Parce qu’il est confortable de ne pas regarder ce qui ne va pas chez soi, dire que c’est l’autre qui est fautif est une façon de ne pas perdre la face. Imaginons Nadine, qui attend une promotion depuis des mois. Mais elle n’en parle pas, supposant que la direction le sait. Puis Jeanne est recrutée pour le poste en question. Cela devient la faute de l’employeur. Pourtant, quelle est donc la raison qui empêche Nadine de demander une promotion ?
- Dans ce cas, mieux communiquer pour Nadine serait :
- De ne plus attendre pour discuter de ce poste et d’interroger ses résistances à le faire. Une foi cette clarification effectuée, elle peut proposer un dialogue sur une évolution professionnelle possible, en coopération avec l’employeur ;
- De garder ses distances quand on veut finir une relation. Imaginons que Paul n’ose pas à Julie qu’il veut rompre parce qu’il ne souhaite pas la faire souffrir ou qu’il a peur de sa réaction. Il va installer une distance progressive et quitter la relation sur la pointe des pieds.
- Paul pourrait jouer la sincérité en communiquant mieux sur le fait qu’il ne souhaite plus vivre avec Julie. Cette étape difficile fera avancer les deux protagonistes sur leur chemin de conscience.
4. Croire que son bout de la réalité est la vérité
On s’accorde à dire qu’au pays de la théorie, quand on rencontre une personne, il faut prendre en compte sa réalité. Néanmoins, en pratique, chacun est persuadé d’avoir (toujours) raison. Imaginons la tour Eiffel à Paris : Paul se trouve à l’est de la ville et voit donc la partie est de la tour ; Jules situé au sud de Paris, regarde la partie sud, et Antoine voit la face nord. Ce que chacun voit n’est qu’une perception partielle de la tour Eiffel, soit un bout de la réalité.
Imaginons deux managers qui ne sont pas d’accord sur la façon de gérer un projet. Chacun réagit en fonction de ce qu’il juge être bien et mal et repousse ce qui vient de l’autre. Cela reviendrait à dire qu’une seule partie de la tour Eiffel existe. Et à nier les autres parties.Se mettre « dans la peau de l’autre » en vivant ce qu’il vit en empruntant ses chaussures, est la meilleure façon d’élargir sa compréhension, d’apporter un dialogue fluide, une considération de chacun, une meilleure entente.
5. Rester figé dans ses certitudes
Une situation se construit en permanence : elle bouge, elle évolue, elle se transforme. L’illusion est de croire qu’une situation est la même qu’hier. Car si un élément nouveau survient, le sens de la situation change. Alors à quoi bon donner des étiquettes ? Supposons qu’Antoine, le nouveau chef de service a la réputation d’être méchant Que va-t-il se passer dans la tête de sa nouvelle équipe ? Elle sera sur ses gardes, ne paraîtra pas naturelle. Le dialogue sera crispé ,donnant lieu ,à un moment donné ,à des interprétations erronées.
- Dans ce cas, mieux communiquer c’est :
- Se dire que si Antoine a été réputé malveillant avec Jacques, cela ne veut pas dire qu’il le sera avec Paul ;
- Ne pas donner de crédibilité à des ouï-dire ;
- Observer que si je vois le monde comme dangereux, mes stimuli ne vont retenir que des choses dangereuses.
6.Donner un conseil quand on ne nous le demande pas
Quand on écoute, si on ne prête pas une oreille active, on va interpréter ce que nous dit notre interlocuteur. Interpréter, c’est faire une analogie, rebondir sur un mot qui nous emmène ailleurs, échafauder un scénario, imaginer une histoire … qui n’ont rien à voir avec ce qui est dit.
Supposons que Carla vit une rupture amoureuse et un chagrin.
Lors d’un dîner, ses amies lui disent : « Un de perdu, dix de retrouvés ! Inscris -toi sur un site de rencontre ! »
C’est comme si on disait à un grand brûlé : « Ce n’est pas grave, ça ne fait pas mal. »
C’est aussi la meilleure façon de perdre une amie.
- Dans ce cas, mieux communiquer serait d’écouter en taisant ses pensées intérieures.
Autrement dit, quand j’écoute, je ne pense pas à faire une réponse ni à chercher un conseil ou une solution.
J’écoute dans l’instant présent pour que l’autre ait la place de s’exprimer.
7. Être hermétique au point de vue de l’autre
Il s’agit d’une dispute entre un père, Max (très occupé par son travail), et son adolescent Léo (qui se drogue). La seule communication qui existe entre eux est celle concernant l’argent de poche ou les horaires.
Même si la communication réelle est rompue, l’échange continue sur le mode de la querelle.
Qu’observe-t-on ? Que chacun a une intention avouée ou pas : « avoir le dessus » (le père) et « avoir l’attention » (le fils).
Que chacun voit la situation en fonction de son cadre de référence : « je dois le mettre sur le droit chemin » (Max) et « je n’existe pas pour lui » (Léo)
La non communication, dans ce cas, c’est n’avoir aucune réciprocité ni mise en commun des vécus respectifs (les 80%) entre le père et le fils.
Mieux communiquer serait :
- Se montrer vulnérable en exprimant ses affects et ses attentes
- Ecouter réellement le point de vue de l’autre et accepter de se taire de temps en temps
- Inventer une base commune de communication
8. Croire que l’information entendu est la vérité
L’abondance des canaux de transition et l’information en continu brouillent notre perception et apportent de la confusion (dans les échanges, en réunion, lors d’entretiens ou de rencontres), notamment en raison de
- La généralisation (« Les jeunes ne veulent pas travailler », mais est-ce vrai ?) ;
- L’imprécision (« Tu es toujours en retard ! », mais est-ce exact ?) ;
- La rumeur (« Ce manageur a mauvaise réputation », mais est-ce la vérifié ?) ;
- Les fakes news.
Alors, quoi et qui croire ?
- Vérifiez d’où viennent vos informations et de qui elles émanent ;
- Prenez du recul face à la surabondance des informations pour mieux les trier ;
- Transformez l’information en connaissance : recueillez des données et analysez-les afin de vous forger une opinion sérieuse. Les échanges n’en seront qu’améliorés.